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La profession d’avocat en Tunisie Un partenaire devenu indésirable

La profession d’avocat en Tunisie

Un partenaire devenu indésirable

    Introduite par la colonisation française[1], la profession d’avocat était réservée aux français essentiellement, qui étaient privilégiés par une compétence exclusive devant les tribunaux français[2].Pour les tunisiens, ce fut d’abord les « wkiles ». Ensuite, un décret beylical a instauré profession pour les tunisiens[3] qui étaient de plus en plus nombreux à étudier le Droit dans les universités françaises. La profession est née donc avant la république Tunisienne. D’ailleurs, la profession était une vraie pépinière, puisqu’on trouve les avocats à l’avant-garde des mouvements politiques tunisiens qu’a connu la Tunisie, et ce, que ce soit dans leur phase embryonnaire comme des associations culturelles, ou avec l’apparition des partis politiques, notamment le partie destourien et le néo-destour qui a dominé le panorama politique tunisien avant et après l’indépendance de la Tunisie. Les avocats étaient toujours présents dans les castings des gouvernements et des partis politiques. Certains auteurs vont jusqu'à parler de profession politisé[4].

A côté de ce rôle de viviers des élites politiques, la profession était aussi une des forces essentielles militantes pour les droits de l’homme, les libertés publiques, la démocratie et les principes de l’état de Droit. La nature de sa mission et l’engagement de plusieurs avocats dès le 19éme siècle a fait de la profession un vrai et parfois presque l’unique bouclier pour les Droits de l’homme, voir même un contre-pouvoir de facto.

Il est évident que le barreau a connu le clivage politique[5] tout au long de son histoire. Ainsi il ‘y avait des avocats tunisiens pro-colonisation et d’autres pro-Indépendance[6] ; ceux qui sont avec le régime de Bourguiba et ceux contre. Le régime de Ben Alia connu aussi le même phénomène. À cet époque, la profession était la caisse de résonnance de la vie politique. On dirait même que chaque camp, chaque mouvement politique et idéologique a ses avocats. La légende de la profession militante pour la démocratie et les Droits de l’homme a prospéré quand les avocats de l’opposition se sont réunis pour soutenir primo, l’opposition politique durement réprimée par le régime de Ben Ali, et puis les mouvements sociaux et populaires, avant, et surtout lors de la révolution où la révolte- du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011[7].

Historiquement, on peut affirmer qu’à chaque régime son texte organisant la profession. Ainsi ; avec le bey c’était le décret beylical du28 février 1952 ; avec le régime de Bourguiba la loi n°37/58 du15 mars 1958 ; et le régime de Ben Ali avait aussi promulgué son texte, à savoir la loi n°87/89du 07 septembre1987. Ces textes bien restrictifs à plusieurs égards, notamment pour ce qui est des garanties pour l’avocat, n’ont pas empêché les avocats tunisiens à jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre la dictature et les violations des droits de l’homme. Un rôle salué et consacré après le 14janvier2011 dans le décret n°79 /2011 du 20aout 2021,dont le premier article prévoit : « La profession d’avocat est une profession libérale et indépendante, elle participe à l'instauration de la justice et défend les libertés et les droits humanitaires. ».Ensuite, c’est la constitution de 2014 qui affirme cette idée de partenariat entre la magistrature et l’avocatie, dans son article 105 : « La profession d’avocat est libre et indépendante. Elle participe à l’instauration de la justice et à la défense des droits et libertés. L’avocat bénéficie des garanties légales qui assurent sa protection et lui permettent d’exercer ses fonctions.».

Ce texte était révolutionnaire et historique, puisque jamais un texte constitutionnel n’a consacré ce concept de la profession. D’autant plus, cet article n’était dans le chapitre V portant sur le pouvoir juridictionnel.

Malgré que la constitution n’a fait que consacrer une vérité et l’esprit révolutionnaire qui fait de l’intérêt accordé à la profession une des garanties de non répétition des violations de droits de l’homme méthodiques et massives qu’a connu la Tunisie avant 2011; il est à noter que comme toute nouveauté, ce principe de partenariat bien que consacrée dans plusieurs textes après 2011 n’a pas été vraiment toujours respecté, et ce, que ce soit par les gouvernements ou le pouvoir législatif[8].Les tribunaux et les juges peinent aussi parfois à respecter ce principe procéduralement. Mais globalement, la tendance y est ; la profession est investie d’une mission de défense des droits de l’homme et des principes de l’état de Droit. L’avènement du 25 juillet 2021 et les décrets présidentiels pris par le Président de la République sous prétexte d’application de l’article80 de la constitution de 2014 a métamorphosé non seulement la réalité juridique mais aussi les principes généraux du droit public. Le pouvoir est désormais concentré exclusivement aux mains du Président de la République qui a octroyé à ces décrets une valeur supra-constitutionnelle.

On se propose dans cet article d’étudier l’impact du changement du 25 juillet2021 sur la profession d’avocat. Bien que le discours présidentiel assure que ce changement n’est qu’une continuation -ou plutôt un mouvement correctionnel de la révolution du 17 décembre2010-, la tendance à estimer et valoriser le rôle du barreau et des avocats a connu un vrai revers ; la profession n’est plus ce partenaire à l’élaboration et l’instauration de la justice. L’examen des textes (I) et des violations -malheureusement- à répétition des garanties pratiques pour certains avocats(II)  en dit long sur la conception du régime en place de la profession et des avocats et leurs rôles. Le bilan négatif traduit l’absence d’affectio societatis du côté du pouvoir en place,ce qui fait de la profession un partenaire indésirable, et ne présage rien de bien quant au probable nouveau texte organisant la profession attendu sous le nouveau régime ; la régression du rôle de l’avocat et de ces garanties semble bien la couleur annoncée.

 

I / La régression au niveau des textes

Les décrets présidentiels supra constitutionnels et l’expulsion des avocats des institutions (2) et la nouvelle constitution et la déconstitutionnalisation de la profession (1) ne peuvent que prouver cette régression.

1.      La constitution du nouveau régime et la déconstitutionnalisation de la profession 

L’application de l’article 80 de la constitution de 2014 tel que conçu par le Président de la République le 25 juillet 2021 et les mesures prises dans ses décrets ne visait pas ,comme le prévoit justement l’article 80, le retour au fonctionnement normal des pouvoirs publiques, mais il s’est avéré que ses mesures préparaient la proclamation d’une nouvelle république[9] et une nouvelle constitution, que le président lui-même[10] a préparé comme texte proposé pour un référendum sous la direction d’une instance d’élections[11] qu’il a nommé lui-même ses membres[12]. Le référendum a été boycotté par une majorité d’inscrits aux listes électoraux. L’instance désignée par le Président a fini par déclarer que le texte proposé[13] par le président a été adopté par la majorité des votants.

Dans une déclaration du 27 juillet 2021, la majorité des membres du conseil de l’ordre des avocats ont soutenu les mesures prises par le Président. Ce fut une première dans l’histoire de l’ordre des avocats -pourtant lauréat du prix Nobel de la paix et se vantait d’être l’un des rares institutions officielles qui ont tenu tête tout au long de leurs histoire à la dictature et qui a défendu les droits de l’homme et la démocratie. Même les conseils de l’ordre à majorité pro-régime n’étaient pas allé si loin dans le soutien des violations des Droits de l’homme et de la consécration du pouvoir individuel incontrôlé. C’est le bâtonnier B.Bouderbela qui a le plus défendu cette dérive démocratique. Ses apparitions médiatiques quasi quotidiennes pour défendre le Président de la République ont été les plus spectaculaires et les plus nocives pour l’image de la profession et sa notoriété historique devant l’opinion publique.

Malgré l’attitude plutôt positive et complice de la majorité du conseil de l’ordre et surtout du bâtonnier envers le pouvoir en place, le texte proposé par le Président ignorait totalement la profession et l’avocat. L’article 105 et le partenariat à  l’instauration de la justice et la défense des droits et libertés n’ont pas de place dans la nouvelle constitution. Le chapitre V de la nouvelle constitution du président traite de la fonction juridictionnelle et non plus du pouvoir[14] juridictionnel, et ne traite pas de la profession d’avocat et ne lui reconnait aucune valeur constitutionnelle ni des garanties comme  c’était le cas avec la constitution de 2014.

L’exclusion de la profession de la constitution du Président est révélatrice d’un certain mépris du nouveau régime àla profession et aux avocats,qui doivent se résoudre à être considérés comme de simples fournisseurs de services. La constitution, les droits de l’homme, les principes de l’état de droit, des institutions et leurs défense ne les regardent plus ; c’est plutôt au Président de la République qu’incombe la mission de garantir le respect de la constitution et les principes qu’elle adopte selon l’article 91 de sa constitution, ce qui fait de lui à la fois le contrôlé et le contrôleur.

2.      Les décrets présidentiels supra-constitutionnels et l’expulsion de la profession des institutions

Le décret 117/2021 qui est toujours en vigueur d’ailleurs  est plutôt une petite constitution, puisqu’il organise ou plutôt concentre les pouvoirs publiques entre les mains du Président qui gouverne et légifère d’une façon absolue sans aucun contre-pouvoir. Ses décrets ne sont susceptibles d’aucun recours et ont une valeur supra–constitutionnelle, puisque l’article20 du décret 117/2021 prévoit que : « le préambule de la Constitution, ses premier et deuxième chapitres et toutes les dispositions constitutionnelles qui ne sont pas contraires aux dispositions du présent décret Présidentiel, continuent à être appliquées »après que son article 7 a immunisé les décrets présidentiels « Les décrets-lois ne sont pas susceptibles de recours en annulation ».

Bien avant la constitution, le régime -ou plutôt le Président en place- a exclu les avocats du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). En effet, la constitution de2014 a essayé de mieux garantir l’indépendance de la magistrature, et c’est dans ce cadre qu’elle a instauré le CSM, un conseil en partie élu et qui comprend parmi ses membres des avocats et des huissiers et des professeurs de Droit. Ledit conseil a été organisé par la loi organique n°34/2016 du 28avril 2016.

Le Président de la République a décidé autrement, en instaurant son Conseil Provisoire de la Magistrature par le décret-loi n°11 /2022 du12 février 2022[15], composé exclusivement de magistrats en exercice ou retraités choisis et nommés, bien sûr, par le Président de la République,qui s’est octroyé[16]à l’occasion d’importantes prérogatives.

Il est clair que pour le nouveau régime que  les avocats n’ont pas de place dans l’organisation de la justice ni comme partenaires ni même comme observateurs ou garants de qui que ce soit. L’actuel conseil de la magistrature est désormais un cercle fermé pour les magistrats nommés par le Président de la République, qui assure l’indépendance de la magistrature en s’immisçant dans sa gestion. 

Autre signe fort de la profession « non grata » qu’est devenue la profession d’avocat est son expulsion encore de la composition de la Cour Constitutionnelle, autre institution créée par la constitution de 2014 et organisée par une loi organique, en l’occurrence la loi organique n°50/2015 du 03 décembre 2015 prévoyant dans son article 9 que ces membres peuvent être des avocats inscrits depuis 20 ans au moins au registre des avocats auprès de la cour de cassation.

Dans son article 125, la nouvelle constitution de 2022 fait de la Cour Constitutionnelle un club exclusif aux plus anciens magistrats, et plus exactement les présidents des chambres de cassation. une fois encore, les avocats sont expulsés par le nouveau régime de l’une des plus importantes institutions, même si ses compétences sont nettement réduites à l’image de tout autre contre-pouvoir dans la nouvelle constitution.

La liste des textes prouvant la régression de la profession ne s’arrête pas là, et on peut y ajouter à titre d’exemple l’article 61 de la nouvelle constitution qui interdit aux députés du parlement d’exercer une activité à titre lucratif ou non, ce qui exclut de facto tous les professions libérales et pas seulement les avocats. Cette disposition pourrait aussi bien cerner le profil des députés recherchés par le rédacteur de ce texte, à savoir le Président de la République.

II/ Les violations des garanties de l’exercice et les Droits de l’homme des avocats

D’une façon inédite et rocambolesque, les atteintes aux garanties d’exercice et des droits de l’homme se sont multipliées après le 25 juillet 2021.Nous citons quelques exemples(1) avant de traiter de l’affaire du bâtonnier Abderrazek kileni(2).

 

1.      Les exemples de violations des droits de l’homme et des garanties de l’exercice

Il faut bien sûr mentionner que ces violations ne sont pas un phénomène nouveau en Tunisie, mais c’est l’ampleur de ces violations et l’insouciance totale et rustre pour le respect des procédures qui inquiète. D’abord, tout a commencé avec le phénomène de l’assignation à domicile sur fond de représailles juridiques[17]. Ce fut le cas du bâtonnier Chawki Tabib, ancien président de l’instance nationale anti-corruption le 20 aout 2021.La décision de son assignation à résidence ne se fondait sur aucune base juridique, elle violait même le tristement célèbre décret n°50/1978 du 26 janvier 1978 relatif à l’état d’urgence. Plus spectaculaire encore fut l’enlèvement de Me.Nourredine  Bhiri, ancien ministre de la justice et député du mouvement El Nahdha devant sa maison le 31 décembre2021. Ila été transféré à une destination inconnue. Ces avocats ont dû aller au poste de police à Menzel Djmil dans le gouvernorat de Bizerte après des rumeurs sur son lieu de détention[18]. Ensuite, il s’est avéré qu’il a été hospitalisé dans un hôpital après la détérioration de sans état de santé. Ils se sont alors déplacés à cet établissement pour avoir des nouvelles de la santé et du statut de leur client confrère. Le bâtonnier Abderazek Kileni qui était parmi ces avocats sera traduit devant le tribunal militaire de Tunis suite à une conversation qu’il a eu avec des agents de police chargés de garder l’hôpital. Nous reviendrons sur cette affaire dans le prochain paragraphe, mais c’est dans cette affaire que les avocats de Me. Bhiri ont su que leur client était sujet d’une décision d’assignation[19]. D’ailleurs les autres avocats de Me.Bhiri ne seront pas ménagés eux aussi.

Autre exemple des violations des droits de l’homme, notamment le droit au procès équitable, l’affaire de Me.Mehdi Zagrouba et Me. Seifeddine Makhlouf, dont les faits remontent au mois de mars 2021 quand une cliente de Me.Zagrouba fut interdite de voyager par les agents de la police des frontières à l’aéroport Tunis-Carthage. Afin de défendre les intérêts de sa cliente, Me. Zagrouba la rejoint  avec Me. Makhlouf et d’autres députés. Une altercation éclatait, et des membres des syndicats de police se mêlent à la bagarre et les deux avocats sont traduits devant un juge d’instruction pour finir devant le tribunal cantonal de Tunis. Le 25 juillet 2021 et vers minuit, le ministère public militaire [20] reçoit une plainte des syndicats de police portante sur les mêmes faits déjà sujet  de poursuites devant un tribunal judiciaire. Mais cela n’a pas empêché le procureur militaire de traduire les deux avocats devant un juge d’instruction militaire qui les traduit devant le tribunal militaire de Tunis alors que la procédure devant la justice judiciaire est toujours en cour.

Dans l’un des procès intentés contre Me. Makhlouf, la cour d’appel militaire le condamne[21]  à des peines allant jusqu'à l’interdiction d’exercice de la profession d’avocat. Il s’agit d’une première historique grave qui violait l’indépendance de la profession à l’ingérence dans les compétences exclusives de l’ordre des avocats. Les violations sont multiples dans ces procédures, tel que la violation du principe de l’interdiction de procédures spéciales ; au droit de n’être juger qu’une seule fois pour un seul crime ; au principe de ne pas juger les civiles devant les tribunaux spéciales, en l’occurrence le tribunal militaire[22] ; à la violation des articles 46 et 47 du décret 79/2011 relatif à l’organisation de la profession d’avocat.

Une vraie chasse à la sourcière est engagée, et on peut citer aussi le cas de Me Becher Chebbi, député et ancien membre du conseil de l’ordre, jugé par contumace. Le tribunal militaire permanent de Tunis l’a condamné à 4mois pour atteinte au moral de l’armée,2 mois pour comportement indécent vis-à-vis du Président de la République et 2 mois pour allégations de faits improuvés à l’encontre d’un fonctionnaire public. Le procureur de la république a ordonné l’ouverture d’une instruction judiciaire à son encontre pour la simple infraction de bâtir sur un terrain sans permis, avec le décernement des mandats de justice nécessaires, alors que la peine de l’infraction imputée n’est pas privative de liberté. On pourrait aussi invoquer le cas de Me. Hayat Jazzar et Me. Ayoub Ghdemssi qui ont été traduit devant un juge d’instruction pour avoir dénoncer dans leurs plaidoiries des anomalies dans la procédure prouvant une forte probable complicité entre des officiers de police et la juge cantonale en charge du dossier.

2/ l’affaire du Bâtonnier Abderrazek El Kileni

C’est en tant qu’avocat que le bâtonnier kileni est intervenu lors de la disparition forcée de son confrère et client Me Nourredine Bhiri, comme on l’a déjà évoqué. L’équipe de défense menée par le bâtonnier Kileni s’est déplacée au poste de police de Menzel Djmil pour essayer d’avoir des nouvelles de leur client ou des discussions ont été engagées avec des responsables. Ensuite, l’équipe s’est déplacée à l’hôpital de Menzel Djmil pour le même but, mais des policiers occupaient l’hôpital et en interdisaient l’accès. Le Bâtonnier kileni a adressé la parole aux policiers en sa qualité de président de l’équipe de défense pour leur rappeler leur devoir d’appliquer la loi « sinon ils mettent en péril leur carrières et leurs familles. Ni le ministre de l’intérieur ni le Président ne peuvent vous être utile. Seule l’application de la loi peut vous protéger. Vos anciens supérieurs sont devant les chambres spécialisées de la justice transitionnelle font pitié avec tout ce qu’il s’en suit pour leurs familles et leurs petits et leurs renoms. Pourquoi vous vous exposez la poursuite judiciaire. Nous avons fait la meilleure constitution au monde, il en a fait un torchon. Son texte prévoyait que les forces de sécurité et l’armée sont républicaines et doivent être à la même distance de tout le monde. Vous ne pouvez pas interdire l’accès d’un citoyen à l’hôpital que sur demande de son directeur. »[23]

Pour ces propos, le bâtonnier a été traduit par le procureur militaire devant le bureau d’instruction n°3  du tribunal militaire permanent de Tunis pour les crimes d’avoir pris part à un attroupement de nature à troubler la paix publique et dont l'objet est de commettre une infraction ou de s'opposer à l'exécution d'une loi, d'une contrainte ou d'un jugement au sens de l’article 79 du code pénal ;outrage à un fonctionnaire public ou assimilé dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions par paroles, gestes ou menaces au sens de l’article 125 du code pénal et d’atteinte à la liberté de travail au sens de l’article 137 du code pénal. Il était clair que le nouveau régime s’acharnait sur le bâtonnier qui clamait haut et fort le retour à la démocratie et le respect des Droits de l’Homme, non pas seulement comme militant, mais aussi en sa qualité d’ancien bâtonnier, puisqu’un bâtonnier est toujours un symbole de la profession. A la surprise générale, le bâtonnier Kileni a été sujet de détention préventive décidée par le juge d’instruction militaire le 22 mars 2022, et ce, malgré l’absurdité des inculpations, avant qu’il ne soit libéré sans aucune demande de l’équipe de défense ni du bâtonnier[24]qui sera malmené lors de la manifestation anti-régime le 25 juillet2022 par un agent de police et filmé exprès par les agents afin d’humilier toute la profession[25].

Traduit devant le tribunal militaire par le juge d’instruction militaire, le Bâtonnier Kileni et son équipe de défense opposaient l’incompétence du tribunal militaire et la violation des articles 46[26] et 47[27] du décret organisant la profession et la qualification erronée des faits dans l’ordonnance du juge d’instruction. Le tribunal militaire permanent de première instance de Tunis a qualifié les faits imputés au bâtonnier de outrage à un fonctionnaire public ou assimilé dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions par paroles, gestes ou menaces, et l’a condamné à un mois de prison avec sursis et a décidé un non-lieu pour les autres chefs d’accusation. Les plaidoiries ont été marquées par la présence de plusieurs avocats de défense, mais aussi par la présence et la solidarité de plusieurs confrères et organisations professionnelles, notamment françaises, et l’absence choquante du bâtonnier en exercice et les membres du conseil de l’ordre, excepté le président de la section de Tunis Me. Mohamed Hedfi. Lors du pourvoi en appel, le nouveau bâtonnier en exercice Me. Hatem Mziou [28] était avec les membres de conseil de l’ordre, notamment le nouveau président de la section de Tunis Me.AroussiSghir, et les anciens bâtonniers, présents et présidaient l’équipe de défense avec le soutien et la participation des confrères français venus plaider et exprimer la solidarité de leurs organisations professionnelles[29]. La Cour d’appel militaire délibère le 11novembre 2022.Elle infirme le jugement de première instance pour incompétence des tribunaux militaires. Le ministère public a aussitôt présenté un pourvoi en cassation[30].

Même s’il est assez tôt de parler de revirement jurisprudentiel[31], il est clair que le message de solidarité entre avocats, que ce soit au niveau interne qu’international, a été bien décisif, surtout qu’il est survenu avec une conjecture assez spéciale, à savoir d’une part, la tenue de la 41éme session de l’examen périodique universel des Droit de l’homme pour la Tunisie, ou jamais autant de recommandations n’ont été faites sur la traduction des civiles devant les tribunaux militaires, et d’autre part, la tenue du sommet de la francophonie en Tunisie. Tout cela fait que le régime en place veut bien montrer patte blanche. Il s’agit vraisemblablement d’une trêve. Une deuxième mi-temps est peut-être à prévoir, surtout que le Président de la République a rendu la magistrature judiciaire plus docile, en promulguant le décret n° 11/2022 qu’on a déjà évoqué supra, et qu’il l’a aussitôt amendé par le décret n° 35/2022,par lequel il s’est octroyé le droit de licencier les magistrats sans aucune procédure préalable ou motivations ou respect du principe du contradictoire. Le soir même de la publication du deuxième décret, il en fait usage en licenciant 57 magistrats. Les décrets du Président ne sont pas seulement une immixtion dans les affaires de la justice par le pouvoir exécutif et législatif, puisque le président les accumule, mais c’est surtout un épée de  Damoclès qui limite toute indépendance et impartialité des juges menacés à tout moment de licenciement sans aucun respect du droit de la défense, et diabolisés par un discours présidentiel peu conventionnel, et lynchés publiquement par certains médias et réseaux sociaux. D’ailleurs, même le juges qui ont obtenu un sursis  à l’exécution des arrêts de licenciement du tribunal administratif n’ont pas pu regagner leurs postes il est bien évident de juré et de facto qu’aucun pouvoir ou contre-pouvoir ne pourrait contraindre l’exécutif à appliquer la loi.

Me.Brahim Belghith

Le 14 novembre 2022

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Pour l’influence de la France sur l’apparition de la profession en Tunisie, voir l’article d’Éric Gobe : l’organisation de la profession d’avocat en Tunisie : du modèle français et son adaptation au contexte colonial et post-colonial, publié dans les archives des Hal sur internet ;

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01211147/document

[2]Les avocats- défenseurs instaurés par la loi française du 27 mars 1883, rendue applicable en Tunisie par le décret beylical du 18 avril 1883

[3] Le décret beylical du 28 février 1952 fixant le statut de «mouhami »

[4]Voir par exemples : Éric Gobe : Les avocats en Tunisie de la colonisation à la révolution (1883/2011) sociohistoire d’une profession politique. Publié en2013 sur le site KHARTALA –IRMC

- Chawki Tabib : Avocats et politique en Tunisie. Edition SOTEPA 2017.

-Brahim Belghith ; Un temple sans gardiens …L’ordre en désordre. ORBIS 2020.

[5] C’est ce qui explique d’ailleurs les prises de positions anormales De l’ancien bâtonnier B. Bouderbela et la majorité des membres du conseil de l’ordre lors des violations de la constitution à partir du 25 juillet 2022.

[6] Voir Amara Sghayer : Qui sont les avocats du patriotisme et les avocats de la colonisation en Tunisie ? Article en arabe publié par Essiassia et le site Toures le 03mai 2009.

[7] Pour l’auteur la révolution doit en finir avec ses causes pour être qualifier comme tel. 

[8]Les projets des lois de finances ont été toujours des menaces qui pèsent sur la profession et les droits de l’homme.

[9] Après une consultation électronique avec une faible participation et dont la minorité seulement a demandé une nouvelle constitution.

[10]Après avoir nommé une commission pour la préparation d’un projet de constitution boycotté d’ailleurs par les doyens de facultés de Droit et plusieurs autres personnalités. Le président de cette commission et plusieurs membres ont condamné le fait que le Président de la République a proposé un projet de constitution qui n’a rien à voir avec le leur.

[11]Le comité de Venise sollicité pour un avis sur les nouveaux textes organisant les élections et le référendum a nettement affirmé leur non-conformité avec la constitution 2014 et les critères internationaux. La réplique du Président était assez violente en demandant a tout représentant dudit comité de quitter illico le territoire Tunisien.   

[12] Par décret n°459 du 09mai2022.

[13] Le texte ne fixait aucun seuil minimum d’approbation et ne prévoyait rien pour l’hypothèse ou le non le remporte.

[14] Une façon peut être de contourner le principe de séparation et équilibre des pouvoirs.

[15] Un recours contre ce décret pour violations des droits de l’homme est en cours devant la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples dans l’affaire 02/2022.

[16]Qui a plutôt usurpé.

[17] Le ministre de l’intérieur lui-même a avoué dans un discours qu’il a procédé à ces mesuresen application du décret n°50/1978 sans aucun recours ou ordonnance judiciaire dans un point de presse tenu le 03janvier2022.Le 4 janvier2022, il déclare qu’il a informé la ministre de la justice et le ministère public, mais la situation était bloquée, alors il a pris la décision tout seul.

[18] Toute l’équipe de défense présente au commissariat de Menzel djmil a été traduite devant un juge d’instruction judiciaire à Bizerte. Il s’agit de : le bâtonnier Abderrazek El Kileni, Me.Akremi,Me. Samir Dilou , Me Anouar Aouled Ali, Me. Ridha Belhadj, Me. Mohamed Sami Triki, Me. Malek Ben Amor , Me. Nacir Harabi, Me.Mohssen Sahbeni, Me. Monia Bou Ali, Me. Ramzi Ben Daya, Me.Nizar Toumi ,Me. Inès Harath,Me. Abderraouf Oba.

[19] Il ne s’agissait pas d’une assignation à domicile comme le prévoyait l’article 5 du décret n°50/1978,ce qui pourrait bien être qualifié d’enlèvement au sens de l’article 237 du code pénal tunisien.

[20]Juste après le discours du Président pour annoncer sa façon d’appliquer l’article 80 de la constitution de 2014.

[21] C’est l’arrêt du 17 juin 2021 pour menace contre un juge militaire qui a condamné Me. Makhlouf un an de prison ferme et interdiction d’exercer la profession d’avocat pendant cinq ans. L’affaire est maintenant devant la chambre de cassation spécialisée. 

[22]L’article 110de la constitution de 2014 interdisait les tribunaux d’exception ou les procédures d’exception et précise que les tribunaux militaires ne sont compétents que pour juger les affaires à caractère militaire. D’ailleurs, l’article 149 prévoyait l’amendement des textes en vigueur pour être conforme avec l’article 110, ce qui n’a pas été fait.

[23] Ce sont littéralement les déclarations imputées au Bâtonnier.

[24] Sans d’ailleurs aucun élément nouveau dans le dossier, ce qui prouverait qu’il s’agit d’instructions après la condamnation de l’opinion publique Tunisie et à l’étranger.

[25] Les forces anti –révolutionnaires accusaient toujours et tenaient la profession et les avocats pour responsables de la chute de Ben Ali.

[26] « Dans le cas de poursuites pénales contre un avocat, le président de la section régionale compétente doit en être avisé immédiatement.

L'avocat est déféré obligatoirement par le Procureur général devant le juge d'instruction qui doit procéder à son interrogatoire en présence du président de la section régionale compétente ou de celui qu'il aura mandaté.

Il ne peut être procédé à la perquisition d'un cabinet d'avocat qu'en cas de flagrant délit et après en avoir informé le président de la section régionale compétent.

Comme il ne peut être procédé aux actes de perquisition du cabinet qu'en présence de l'avocat, du juge d'instruction et du Président de la section régionale ou de celui qu'il aura mandaté. La condition de la présence de l'avocat n'est pas admise lorsqu'il est en état de fuite

Ces mêmes dispositions s'appliquent aux bureaux du conseil de l'ordre national des avocats et de ses sections.

Le juge d'instruction doit déterminer la portée de ses investigations et les types de documents ou de preuves qu'il compte saisir. Il ne peut prendre connaissance ou saisir des dossiers ou des documents qui n'ont aucun lien avec l'affaire dont il est saisi.

En cas de flagrant délit les officiers de la police judiciaire entament toutes les procédures à l'exception de l'audition de l'avocat.

Dans tous les cas le juge d'instruction ou les officiers de la police judiciaire procédant à une perquisition doivent se limiter à ce qui est étroitement lié à l'infraction.

Tous les actes et procédures contraires à ce qui a été précité sont nuls et de nul effet. »

 

[27] « Il ne peut être donné aucune suite judiciaire aux actes de plaidoiries et conclusions établis par l'avocat lors ou à l'occasion de l'exercice de sa profession.

L'avocat n'est responsable devant les instances, les autorités et les établissements devant lesquels il exerce sa profession, qu'à titre disciplinaire et conformément aux dispositions du présent décret-loi. »

 

[28] Curieusement, le bâtonnier a été invité le matin même par le Président de la République, etrien n’a été publié sur la teneur de cette rencontre. La présidence de la république a déclaré que c’était pour féliciter le nouveau bâtonnier. Chose bizarre, puisque ces félicitations arrivent après deux mois de l’assemblée générale élective de l’ordre.

[29] Ont été présents dans les plaidoiries en première instance et en appel : Me. Christian Charrière Bournazel pour le barreau de Paris, le bâtonnier Jacques Taquet et Me. Florian Borg pour le conseil national des barreaux de France, le bâtonnier  Jérôme Dirou pour la conférence des bâtonniers de France, Me. Martin Pradel et Me. Dominique Tricaud pour le conseil des barreaux de traditions juridiques communes, Me. Sayed Shaaban et le  bâtonnier Makaoui Ben Aissa pour l’Union des avocats arabes.

[30] Ce qui reflète bien la position officielle, le représentant du ministère de la défense a d’ailleurs défendu la traduction des civils devant les tribunaux militaires lors de l’intervention de l’état tunisien  dans la 41ème session de l’examen périodique et universel des droits de l’homme le 08 novembre2022.

[31]Il faut rappeler que la cour de cassation a confirmé la compétence des tribunaux militaires notamment dans l’affaire Makhlouf et Zaghrouba le 7 décembre 2021.

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